PORTRAIT PASSIONHenri Goursau, la passion des mots et des dicos
26 juin 2022, 0 commentaires , Spécial réfugiés
Jamais le titre de notre rubrique portrait-passion n’aura autant collé à une personnalité. Il le concède lui-même : il sera difficile de concentrer 45 ans de passions dans un seul article, et même d’en faire un résumé représentatif, non limitatif, non étriqué. S’attaquer à raconter Henri Goursau, c’est entrer dans un livre d’histoires et d’Histoire, du genre encyclopédique. D’ailleurs, parlez-lui de tel nom de rue, et c’est tout juste s’il ne vous récite pas en suivant la généalogie complète du personnage cité. Impressionnant. Même les mémés de François Bayrou ou d’Emmanuel Macron, aux origines pyrénéennes, n’y échappent pas !
Natif d’Arrens-Marsous, dans le Val d’Azun (Hautes-Pyrénées), il fit tout d’abord carrière chez Air France Industries, d’Orly ou Roissy à Montaudran, berceau de l’aviation civile. Comme toutes les notices étaient écrites en anglais, difficile de comprendre et décrypter le jargon technique aéronautique. « Je décidais donc de noter sur un calepin les mots, avec leurs traductions, et dix ans plus tard, le calepin s’est transformé en un véritable dictionnaire. » Pas moins de 20.000 heures furent nécessaires à sa réalisation. Mais la passion s’était infiltrée dans sa vie, l’air de rien, et ce travail de lexicographie n’allait plus vouloir le quitter. D’autres dictionnaires naquirent : techniques, médicaux, touristiques, sportifs, gastronomiques ou même politiques. Le petit dernier étant un croustillant « Dictionnaire des petites phrases des politiques », hautement recommandable. Ou encore le tout premier dictionnaire consacré à la Covid, le Dicovid-19. Parfait, très bien, point final ? Cela pourrait finalement s’apparenter à ces petits fétichismes intellectuels qui noient le monde, satisfaisants certes pour l’intelligence mais un peu pauvres au noble sens humain. C’était mal connaître Henri Goursau et son grand cœur.
En soutien au peuple ukrainien, j’ai transmis par mail ces fichiers… afin qu’ils soient imprimés et remis gracieusement à des réfugiés ukrainiens »
Vous sentez venir la suite, pas vrai ? Eh bien, bingo, vous avez vu juste ! « J’ai pensé qu’il était indispensable de créer sur le même modèle un lexique bilingue français/ukrainien, avec des phrases simples pour demander sa route, manger, dormir, prendre un bus, aller à la gare ou en ville. » 200 phrases pour poster des questions pratiques, demander un renseignement, se dépanner. Des formules de politesse aussi : bonjour, au-revoir, s’il vous plaît, merci (Nda : si on pouvait aussi l’offrir à quelques « nationaux » parce que d’aucuns semblent ne pas comprendre ces mots ni même les connaître, oups, je m’égare…), tout pour faire face aux situations compliquées de la vie de tous les jours, quand on ne maîtrise pas une langue. Et comme il pense pratique, Henri Goursau a présenté ses lexiques en fichiers .pdf que l’on peut imprimer recto-verso sur n’importe quelle imprimante. « En soutien au peuple ukrainien, j’ai transmis par mail ces fichiers à plus de 500 associations caritatives, ONG, municipalités, familles d’accueil, afin qu’ils soient imprimés et remis gracieusement à des réfugiés ukrainiens. » Et la cerise sur le gâteau : ses lexiques ont été intégrés dans le « livret d’accueil en France pour les déplacés d’Ukraine » du ministère de l’Intérieur et mis en ligne par le gouvernement . Il y en a à qui on filerait la Légion d’Honneur pour bien moins que ça !
Lexique pour refugies
Henri Goursau est même entré dans le Livre Guinness des Records en 2017 pour un « record mondial absolu du nombre de langues contenues dans un dictionnaire. » Respect. Désormais retraité, sans se laisser happer par les fureurs du temps, il se contente de sa ou plutôt de ses passions. « Je vis le plus souvent en immersion dans mon petit paradis d’enfance, niché au cœur de vallées haut-pyrénéennes aux paysages naturels et où je fais en famille de fort belles randonnées d’altitude. Et c’est là, dans ce décor grandiose de montagnes que je puise l’inspiration, mes idées, mon énergie pour mes dictionnaires. » Soyons francs : des comme lui, on en voudrait davantage ! Le monde irait tellement mieux…
Pour – hélas – conclure, empruntons ces quelques mots du site des Éditions Goursau justement, signées du poète hindoue Saint-Tukaram (1608-1650) : « Les mots sont les seuls bijoux que je possède/Les mots sont les seuls vêtements que je porte/Les mots sont la seule nourriture qui me maintient en vie/Les mots sont la seule richesse que je distribue aux gens. » Tout est dit, ou presque
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