Voie rapide - Le Monde diplomatique
01 dcembre 2004, 0 commentaires , Cap sur Mars
Harrison H. Schmitt, le dernier homme à avoir posé le pied sur la Lune, s’apprête à fêter ses… 80 ans. C’était en 1972 ! Depuis cette date, l’aventure spatiale n’a jamais retrouvé l’enthousiasme populaire qu’elle avait soulevé au plus fort de la guerre froide. Mais divers projets relancent aujourd’hui son attrait. Les voyages en orbite se banalisent, à défaut de se démocratiser. Des milliardaires s’offrent quelques tours de la Terre dans la station spatiale internationale (1). Et même les simples millionnaires, après la réussite de SpaceShipOne – le premier avion spatial privé à avoir effectué deux vols à moins de cinq jours d’intervalle –, peuvent désormais s’offrir le privilège de contempler d’en haut la Planète bleue. Le 4 octobre 2004, le constructeur de cet aéronef (2) se voyait décerner pour cet exploit l’Ansari X-Prize, une récompense de 10 millions de dollars. Un prix qui donne le signal de départ à la conquête spatiale privée.
Cela n’est toutefois que gadget comparé à l’autre grand projet spatial habité. Car il ne s’agit plus de science-fiction : on posera bientôt le pied sur Mars. Principal promoteur de cette entreprise, le président de la Mars Society – association internationale de 6 000 membres (3) –, M. Robert Zubrin, défend une conception radicale de l’aventure. Ancien ingénieur en chef chez Martin Marietta Astronautics (absorbée en 1995 dans Lockheed Martin), il livre dans Cap sur Mars (4) une défense et illustration de son approche, dite « Mars Direct ».
Le projet consiste à envoyer, en janvier 2014, un premier véhicule à destination de Mars, sur un lanceur lourd du type des fusées Saturn V (Etats-Unis) ou Energia (Russie). Ignorer totalement la Lune – après tout, cela demande moins d’énergie de se rendre sur la Planète rouge que sur la Lune, car l’atmosphère ténue de Mars permet de freiner sans dépenser de propergol (le carburant des fusées). Lancer ensuite, tous les deux ans, deux nouvelles fusées : l’une ira déposer son équipage, après 180 jours de vol, à côté du véhicule lancé deux ans plus tôt, qui servira pour le retour des astronautes ; l’autre, sans équipage, servira de module de retour pour la mission suivante. Les quatre explorateurs disposeront de 550 jours pour visiter les alentours et effectuer des expériences, une durée exceptionnelle qui garantit l’intérêt scientifique de la mission.
Toute l’astuce du procédé consiste en sa (relative) légèreté : le véhicule de retour est envoyé vide, et produit ses propergols sur place, en décomposant chimiquement l’atmosphère martienne grâce à un générateur électrique embarqué. M. Zubrin a lui-même démontré, avec des moyens relativement limités, la faisabilité technique de cette exploitation des ressources locales. De plus, chaque mission laissera sur place son « hab », ou module d’habitation, ce qui permettra à terme l’implantation d’une base scientifique permanente sur le sol de Mars.
L’auteur cherche à convaincre le grand public. Navigation dans le système solaire, chimie des propulseurs, calcul des quantités de nourriture, trajectoires permettant d’éviter les surdoses de radiation, définition d’une horloge et d’un calendrier locaux, méthodes pour se repérer sans boussole selon la position des lunes Deimos et Phobos : une profusion d’explications pédagogiques très réussies font de Cap sur Mars un livre à étudier au lycée, et un best-seller aux Etats-Unis. Robert Zubrin joue à plein de la notion de « nouvelle frontière », convoque l’histoire des pionniers de l’Ouest pour envisager le développement d’une future humanité martienne (sans Indiens à exterminer cette fois), et envisage la propriété privée et l’esprit d’entreprise comme les plus puissants moteurs de la colonisation spatiale. Mais, qu’il s’agisse de missions commanditées par les puissances spatiales actuelles (Etats-Unis, Europe, voire la Chine) ou par des multinationales, l’ingénieur ne laisse guère subsister de doute sur un point : il existe désormais un plan, réalisable à court terme, pour coloniser Mars. Les générations qui partiront s’établir sur la Planète rouge sont déjà nées.
Philippe Rivière
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